Milena and Miléna in a Square Office

Milena Charbit

Miléna Henochsberg

A Note on the Translation

The following collaboration was a work executed in French. In consideration to our English-speaking audience, we've decided to display the English-language translation first, followed by the original text.

Our thanks goes to Paris- and Edinburgh-based translator and linguist Cameron Morin for the translation. Morin is currently finishing his master’s degree in linguistics at the Ecole Normale Supérieure Paris-Saclay. He recently finished a dissertation on the Scottish poet Robert Burns and is a recipient of the master's award from the French Society of English Romantic Studies.

The turtle, the ostrich and the lion. But why on earth the pigeon? And twice in fact. The pigeon is untimely, it acts like a parasite. It comes to whisper in the ear of the Parisian what they already know.

How dirty this city is! Look at me, where I loiter and pick up everything you throw away. Your grub, your belongings, your cigarette ends. You leave marks behind. I move them, I erase them. Just like when I stroll on Beaubourg square. When I fly up a little, I can see all the rows, all those human beings in their helmets. They look for books from time to time. Most of the time they don’t find them. So the book’s existence ceases. If a book isn’t in its place, that means it’s disappeared.

I erase the marks of the Parisian. I avoid their being confronted by them if ever the day whispers that they should retrace their steps. I scramble them, I give meaning to anonymity. I am their soul, their depth and their skin. People see me without looking at me. Without me you wouldn’t exist. I abolish your existence. I cover every uncivility, I make you anonymous—I make you exist beyond, in the unknown. The unknown of a life. An unkempt, messy, atemporal life. You put me down, down to the scale of the animals in this jungle, in these sewers. And then you drew me again in the middle because I am your knot. I am the one who makes it possible for you to be what you can be without being obscene. You can move easily, forget what you were a moment before. Both your memory and the reason for its oblivion, I enable you to be. To do away with what you are, the prints you leave on this world. I enable the external, the out of range, in an infinitesimal multiplication of possible worlds which can only be a saviour. Your infinite, your fleeting mark. Hey! Be quiet, pigeon.

I snigger. I often do that.

People don’t mind me much, I belong to the background. Sometimes people bump into each other.

Too much spent on one’s eminence, too many pots and pans,
and off I go

out of the shadows to become a nuisance. (a good kick up the backside)

It’s as if I had tried too hard. I have thought too much, so I have done as many stupid things in as little time as possible. Because stupidity is transient. It’s here for us to exist a little,
fortunately.

 

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La tortue, l’autruche et le lion. Mais pourquoi diable le pigeon ? Et deux fois en plus. Le pigeon est inopportun, il parasite. Il vient murmurer à l’oreille du parisien ce qu’il sait déjà. Qu’est-ce que cette ville est sale ! Regarde-moi, là où je traine à ramasser tout ce que tu ne veux plus. D’la bouffe, tes objets, tes mégots. Tu laisses des traces. Moi je les déplace, je les efface. C’est comme quand je me balade sur le parvis de Beaubourg. Quand je prends un peu de hauteur j’aperçois toutes ces rangées, tous ces êtres humains encasqués. Rarement, ils cherchent des livres. Souvent, ils ne les trouvent pas. Alors le livre n’existe plus. Si un livre n’est pas à sa place c’est qu’il n’existe plus.

Moi j’efface la trace du parisien. J’évite qu’il s’y confronte si jamais la journée lui murmure de faire demi-tour. Je la brouille, je donne du sens à l’anonymat. Je suis son âme, sa profondeur et sa peau. On me voit sans me regarder. Sans moi tu n’existerais pas, alors que j’abolis ton existence. Je couvre toutes tes incivilités, je te rends anonyme – je te fais exister au-delà, dans un inconnu. L’inconnu d’une vie. Une vie non triée, non ordonnée, et même pas temporelle. Tu me places en bas, en bas de l’échelle des animaux de cette jungle, dans les égouts. Et puis tu m’as redessiné au milieu car je suis ton noeud. Je suis celui qui fait que tu peux être sans obscénité. Tu peux te mouvoir sans peine, oublier ce que tu as été un instant plus tôt. A la fois ta mémoire et la raison de son oubli je te permets d’être. En finir avec ce que tu es, ce que tu imprimes sur le monde. Je te permets l’en dehors, le hors champ, dans un multiplication infinitésimale des possibles qui ne peut être que salvatrice. Ton infini, ta trace qui passe. Mais oh! Mais taisez vous le pigeon.

Je ricane. Cela m’arrive souvent.

On ne fait pas attention à moi, j’appartiens au paysage. Parfois il arrive qu’on se heurte. Trop longtemps sur son éminence, trop de casseroles,

et hop

on sort de notre ombre pour devenir encombrant. (Un bon coup de pied au cul).

C’est comme si j’avais trop essayé. J’ai trop réfléchi alors j’ai fait un maximum de conneries dans un minimum de temps. Car la connerie est fugace. Heureusement qu’elle est là pour qu’on puisse exister un petit peu,
quand même

 

 

Nothing disappears in your library. It’s canary-yellow, almond-green and yucky. Sometimes it’s ablaze, horizontal on the side, otherwise the books are generally rectangular or even somewhat square. A world shut on itself that hides the secrets of its neighbours. All the books bicker and trash-talk the others without them knowing. They can’t stand the dust. Bitching about the other is at least a means to shake up time – and disperse its discomforts. You risk your life … to be forgotten, burnt, put away on the wrong shelf. But your books are white. So maybe they’re empty? As if they were nothing. The dream of any writer. To be the adventure of your own writing. Without a topic, without characters, to say life absolutely and totally. Every book contains every library of this world. Every word. Every full stop. Every capital letter, even. But never every language. That’s why your library can only be a framework without a frame. An uncertainty of colours, of movements and voids, which is but a map of time. It reassures us. As we are taken by conversation we forget we need to believe the sun will always rise tomorrow morning.

 

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Dans ta bibliothèque rien ne disparaît. Elle est jaune poussin, vert amande et caca doigts. Enflammée parfois, horizontale à côté, sinon les livres sont généralement rectangulaires ou même un peu carrés. Un monde clos sur lui-même qui renferme les secrets de ses voisins. Tous les livres se chamaillent et parlent dans le dos des autres. Ils ne supportent pas la poussière. Parler sur l’autre c’est au moins un moyen d’agiter le temps
– et d’en disperser les désagréments.
C’est risquer sa vie… être oublié, brûlé, mal rangé. Mais tes livres sont blancs. Alors peut être sont-ils vides ? Comme s’il n’étaient rien. Le rêve de tout écrivain. Etre l’aventure de sa propre écriture. Sans sujet, sans personnage, dire absolument et totalement la vie. Chaque livre contient toutes les bibliothèques de ce monde. Tous les mots. Tous les points. Même toutes les majuscules. Mais jamais tous les langages. C’est pour cela que ta bibliothèque ne peut être qu’un cadrage sans cadre. Une incertitude de couleurs, de mouvements et de vides qui n’est qu’une cartographie du temps. Elle nous rassure, pris par la conversation nous oublions qu’il faut croire que le soleil se lèvera toujours demain matin.

 

 

The sunrays are flooding. The sun has indeed got out of bed, it has even multiplied. Folegrandos. The sun of an island, that rise and sets in the sea. Your building suns are resolutely small. Their straw mattresses are certainly tighter. The architect seeks them, lets them come in sometimes, but rarely makes them bigger.

They all look happy, even though they are not of the same time, the same character or even the same colour. The rays hit with different intensities, your eyes are bluer next to the lemon trees. The heat invades me because you know that, I like yellow. Your drawing in black pencil, framed by the gold of your signature, is not in the fog, however. It’s hot, it tells the future. Maybe a promise. On the seaside it’s already less bitter, whatever the two-room house is.

Apollo’s proselytism, you are the most beautiful of wake-up calls. The call of a night, too agitated, where we learnt to do without it. The call of junkies, perverts and anxious people. Always the most beautiful. It catches us upside down, exhorts us to start our night, like a warning of the return of a certain world order.

Actually, the refusal you impose on me to hide your dawn is only that. A return in extremis of unbelief that a life is to be realized. It’s just as well, for it presses us; as the dawn is the prelude to a piercing of silver colours.

A cycle, an eternal return, a return of the eternal, a religion with an expiration date.

 

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Les rayons inondent. Le soleil s’est bien levé de son lit, il s’est même démultiplié. Folegandros. Celui d’une île, qui se lève et se couche à la mer. Tes soleils d’immeubles sont résolument petits. Leur paillasse est certainement plus étriquée. L’architecte les cherche, les laisse parfois s’infiltrer mais rarement ne les agrandit.

Ils ont tous l’air heureux, bien qu’ils ne soient pas du même temps, du même caractère ni de la même couleur. Les rayons tapent à diverses intensités, tes yeux sont plus bleus à côté des citronniers. La chaleur m’envahit car tu le sais, j’aime le jaune. Ton dessin au crayon noir, encadré par la dorure de ta signature, n’est pourtant pas dans le brouillard. Il est chaud, il dit l’avenir. Peut être une promesse. Au bord de la mer c’est déjà moins âpre, quelque soit le deux pièces.

Prosélytisme d’Apollon, il est le plus beau des réveil. Celui d’une nuit, trop agitée, où l’on a su demeurer sans. Celui des junkies, des perverses et des angoissées. Toujours le plus beau. Il nous saisit à l’envers, nous presse de commencer notre nuit, tel un avertissement du retour d’un certain ordre du monde.

D’ailleurs, le refus que tu m’imposes à masquer son aube n’est que cela. D’ailleurs-daille-l’heure-t’ailles-vu-l’heure! Retour in extremis d’incroyance qu’une vie est à réaliser. Tant mieux car il nous presse; alors que l’aurore est le théâtre d’une percée dans des couleurs argentées.

Cycle, éternel retour, retour de l’éternel, une religion à date d’expiration.

 

 

I like your pigeon. It strolls around. It follows some suns. It has even gained colours, a branch and a landscape. A context, a time, a seaside. The salt has taken over, it spreads, nothing can surpass it. Aquarius, we dip and wade in it. An anesthetizing sensitivity makes you climax. An unmoving, unchanging pleasure in a pure state. X.

The passage forgot itself.

It must be picked up again. To fight the 27th letter.

From the inside. Inside. “If you weren’t there, I would wreak havoc”! The vital energy of a layer of oil in water. I bounce off all the walls, I can’t move along the steep relief of the ceramic. Every square, around 4 centimeters or 4 millimeters by around 4 centimeters or 4 millimeters, reinvents itself a few centimeters or millimeters further, beyond the Rubicon, to bow, rebel and sting. You aim at me. With an orange BB gun. When you hit me, I’m on the skids; it stings. But it’s almost pleasant. You take pictures, you’re having fun. Thus you make me immortal by making me an object.

An all-out struggle. To see me waddle, a jailbird trying to break free.

 

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J’aime ton pigeon. Il se balade. Suit quelques soleils. Il a même gagné des couleurs, une branche et un paysage. Un contexte, une époque, un bord de mer. Le sel a repris le dessus, il se répand, rien ne peut le surpasser. Aquarius, on s’y trempe et on barbotte. Une sensibilisation anesthésiante fait jouir. Un plaisir immobile, sans mouvement, sans changement, à l’état pur. X.

Le passage s’est oublié.

Il faut le reprendre. Combattre la 27 ème lettre.
De l’intérieur. A l’intérieur. « Si t’étais pas là, je foutrai le bordel ». L’énergie vitale d’une couche d’huile dans de l’eau. Je me cogne sur tous les murs, je n’arrive pas à longer le relief escarpé de la céramique. Chaque carré, 4 centimètres ou 4 millimètres environ par 4 centimètres ou 4 millimètres environ se réinvente quelques millimètres ou centimètres plus loin, au delà du rubicon, pour se courber, se rebeller et piquer. Tu me vises. D’une carabine à bille orange. Dès que tu me touches je bats de l’aile; ça picote. Mais presque de plaisir. Tu prends des photos, cela t’amuses. De quoi m’immortaliser en objet.
Lutte acharnée.
De me voir me dandiner,
un prisonnier qui cherche à s’évader.

 

 

Since you don’t reply, I write. I write what your drawing is, what it should have been, what it could have told me and what it could make me tell.

You would have drawn ceramics, maybe a detail of this all-out struggle. The sun, surely the sea, of course, a surge of heat, certainly. We would have stopped there, amidst the blood and the tears. I had asked myself what this fight was worth. If it wasn’t too loaded, if the life of a pigeon could arouse someone’s interest. We would necessarily look for metaphor, what the pigeon embodies. Without thinking of the pigeon itself. Touching incarnation without the incarnate. As if the pigeon didn’t have a dignity. Wasn’t worthy of a novel, not metaphysical enough, not high. Like a woman who does the dishes. Like your throwaways. Your obsession isn’t nobler. It’s litter, excess, abandonment. The in-between. Between two shores.

Yes, you would have probably drawn the pigeon between two shores. In the cracks. That’s where everything happens. In between, a dreamt here and now which always turns out different. Your drawings are endowed with signifiers, bathed in a light that makes them precise and underlines their absence of explanation. What is more beautiful than an impossible explanation? An intellect that fails whereas thought is already far beyond. That’s your drawing. You can’t describe it but you can imagine it wonderfully. It’s here, in front of me. My eyes have captured it. And still, you would have done radically otherwise.
That’s for sure.

Savage.

 

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Sans réponse de ta part, j’écris. J’écris ce qu’est ton dessin, ce qu’il aurait du être, ce qu’il aurait pu me dire et me faire dire.

Tu aurais dessiné des céramiques, peut être un détail de cette lutte acharnée. Le soleil, assurément, la mer, obligé, une chaleur, certainement. Nous en étions restés là, au milieu du sang et des larmes. Je m’étais demandé ce que valait cette lutte. Si elle n’était pas trop chargée, si la vie d’un pigeon pouvait intéresser quelqu’un. On y chercherait nécessairement la métaphore, ce que le pigeon incarne. Sans penser au pigeon même. Toucher à l’incarnation sans l’incarné. Comme si le pigeon n’était pas digne. Pas digne du romanesque, pas assez métaphysique, pas haut. Comme une femme qui fait la vaisselle. Comme tes encombrants. Ton obsession n’est pas plus noble. Elle est le déchet, le trop plein, l’abandon. L’entre deux. Entre deux rives.

Oui, tu aurais probablement dessiné un pigeon entre deux rives. Dans les brèches. C’est ici que tout se passe. Dans l’intervalle, un ici et maintenant rêvé qui s’avère toujours autrement. Tes dessins sont imprégnés de signifiants, baignés dans une lumière qui les précise et souligne leur absence d’explication. Quoi de plus beau qu’une explication impossible ? Un intellect qui échoue alors que la pensée est déjà bien plus loin. C’est cela ton dessin. On ne peut le décrire mais on l’imagine à merveille. Il est là, devant moi. Mon regard s’est emparé de lui. Et pourtant, tu aurais fait radicalement autrement.
Ça, c’est sur.

 

 

You always tell the same story. Only a few colours differ each time. You wanted to please me. Mustard, topaz, butter cup, butter, fresh butter or yucky butter. Something like that. An auripigment covering the floor of the flat at 23 quai du commerce 1080 Brussels. I recognize that woman, the one doing the dishes. With her amber hair. Eulogy of routine, habits, a rare thing. A climax, death. A repetitive ode to a repetitive life.

The coffee is getting cold. No time to think.

 

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Tu racontes toujours la même chose.
A quelques couleurs près. Tu as voulu me faire plaisir. Moutarde, bouton d’or, topaze, beurre, beurre frais ou caca doigt. A peu près dans ces eaux là. Un orpiment qui tapisse l’appartement du 23 quai du commerce 1080 Bruxelles. Je la reconnais cette femme qui fait la vaisselle. A sa chevelure gomme-gutte. Eloge de la routine, l’habitude, chose rare. Un jouissance, la mort. Ode répétitive d’une vie répétitive.
Le café refroidit. Il n’y a pas de temps pour penser.

 

 

She is strengthening under her envelope. She pushes a little on the right, a little on the left. She’s growing. The rhythm of growth. She increases, espouses all the shapes to be determined. Never mind the ethics, the barbs or the politics. Her shell gets harassed, pushed around. She is the sign of an absence. What? It all depends on customs. The local pub, or at Chartier’s. We don’t speak the same, the stakes are more or less revealed. High growth, low growth, stagnating growth, limp growth, degrowth. Salty, unsalted. In a circumscribed territory, in a straddled space, or here, on the ground. Witnessing the revolutionary speeches at the counters, she is handled in every possible way. Turned over, manipulated, no one can forget her.

Oh! Salty peanut and your relentless growth.

 

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Dans son enveloppe elle s’affirme. Pousse un peu à droite, un peu à gauche. C’est la croissance. Le rythme de la croissance. Elle augmente, épouse toutes les formes à déterminer. Peu importe l’éthique, les piques ou la politique. Sa carapace est harcelée, brusquée ; elle est le signe d’une absence. Quoi ? c’est selon les usages. Le PMU de quartier ou chez Chartier. On ne parle pas pareil, les enjeux sont plus ou moins dévoilés. Croissance haute, croissance basse, croissance stagnante, croissance molle, décroissance. Salée, pas salée. Sur un territoire délimité, dans un espace chevauché, où là, par terre. Témoin des discours révolutionnaires de comptoirs, elle est maniée à toutes les sauces. Retournée, manipulée, personne ne peut l’oublier.
Oh! cacahuète salée à la croissance acharnée.

 

 

Milena Charbit

Milena Charbit is a artist, architect, and curator. After working for years in Paris-based architectural agencies, she curated the exhibit “Les Iles de la Seine” (The island of the Seine) at Pavillon de l’Arsenal in 2016. She had a gallery in Paris, “La Manutention,” between 2012 and 2016. She is now working on an exhibition about waste as aesthetic urban landscapes. She has published two books “Les îles de la Seine” (Pavillon de l’Arsenal) and “Asnières, Art déco art nouveau” (AAM) as well as articles in Silo and San Rocco

Miléna Henochsberg

Miléna Henochsberg specializes in literature and cinema. After finishing her bachelor’s degree in philosophy she worked at Ladybirds Films and is currently directing a movie about the Centre Pompidou in Paris. She is currently finishing her master’s degree in Arts and Language at EHESS Paris (School of higher studies in social sciences) with a thesis on the use of voice-over in documentary films.